Charles Carson, de purs moments de couleur…
Difficile de peindre « autrement » à l’époque de la mondialisation qui uniformise tout, jusque dans les arts. Indispensable de le faire pour témoigner d’une époque versatile qui, comme disait Cocteau, « doit d’autant plus être admirée que tout y est éphémère » ? Difficile, mais possible pour Charles Carson… Chez lui la couleur, la couleur pure, prime. La palette est souvent, mais pas exclusivement car l’artiste n’est pas dogmatique, chaude, vive, enlevée, au service d’une énergie vitale affirmée. À la question centrale des années 90 que se sont posés nombre d’artistes contemporains, « Mais quoi peindre donc ? », Carson apporte une réponse de bon sens : tout, mais peindre. Qu’il s’agisse de natures mortes (terme mal venu pour lui et auquel il préfère « natures vivantes » ou le terme anglais « still life »), bouquets, paysages, poissons, fonds sous-marins originaux, poissons coralliens, animaux, scènes de genre… peindre est d’abord magnifier par des éclats de couleur ce que ressent l’artiste. |
Il peint beaucoup à l’inspiration. Le spectateur en ressent l’ardeur, ce souffle exigeant, surtout au contact de ses grands formats. Jouant sur la frontière semi-figurative / non figurative, Carson pose sa matière à la spatule, en transparence dans sa juxtaposition de couleurs, obliquement et par petites touches. Il complète ensuite son œuvre par un traitement en diagonale et en épaisseur des blancs, comme un effet ténu de neige. Ceci a pour effet de concentrer la lumière et d’accentuer les contrastes. Cette manière d’appréhender la peinture, permet à un œil un peu exercé de reconnaître immédiatement « la touche du maître». La technique est à présent reconnue comme celle du « carsonisme » et elle fait école. Pour d’autres œuvres, Charles Carson utilise des effets « mosaïques » en fragmentant par la couleur la surface de la toile et le sujet, à l’image des mosaïques. « Carsonisme » ou « effet mosaïque », ces deux approches ne sont pas de simples artifices de création. |
Quel intérêt y aurait-il à disserter sur la marque de plume ou d’ordinateur de l’écrivain, ou sur le numéro de pinceau du peintre ? On oublie la technique et on retient l’imaginaire. Carson travaille beaucoup la nuit, quand le calme règne sur l’atelier. « Comme cela je ne perds pas le fil de ce que je peins, dit-il. Je séjourne dans l’obscur pour travailler mes couleurs qui éclatent au jour. Peindre avec peu de lumière donne de la vibration à l’œuvre : la couleur ressort plus du tableau que de la pièce où je travaille. » Mais toute cette couleur au service de quoi ? Un regard sur le monde très personnel, un peu détaché du réel, une vision des choses qui, bien que singulière, tend à l’universalité. La peinture de Charles Carson émane forcément du monde. Sa force – sa différence aussi – est de transformer la vision que nous avons de ce monde, de nous ramener, en donnant à voir l’indistinct, aux choses essentielles, celles qui nous détachent du quotidien. Sa sculpture œuvre dans le même sens. Elle révèle une façon de faire complexe, originale et jusqu’à présent inexplorée par les artistes, en développant la technique du «carsonisme» sur une surface embossée. Mais là encore, qu’importe le sujet. La matière est généreuse, la couleur omniprésente, tout concourt à élargir notre regard et à mieux comprendre les subtilités et la complexité de notre environnement. |
Ce sentiment d’une œuvre « écologique » est renforcé par la démarche personnelle de Charles Carson qui, aussi souvent que faire se peut, ne se contente pas de déplacer les œuvres de son atelier d’une exposition à l’autre, mais crée directement, sur place, dans le pays d’accueil. « Saisir la vie, l’atmosphère, la lumière des régions, des pays où j’expose m’est indispensable. Je crée souvent plusieurs tableaux dans la ville où je présente une exposition, j’y réside parfois de 4 à 6 mois, pour ce faire, même si j’invente des fonds marins ou de pures abstractions. » La peinture ne représente jamais autre chose qu’un monde des possibles. Les peintres ne dépeignent jamais que leur époque par technique et matière interposées. Charles Carson nous rappelle que la nôtre, derrière la grisaille affichée comme une punition du temps, est un pur moment de couleur, au moins l’instant d’un regard sur le tableau. Alain Coudert est critique et historien d’art. Chroniqueur régulier du mensuel Arts Actualités Magazine depuis 1997, il a publié sous son nom « Ratafia » (Castor Poche Flammarion) et « Le Pilosio » (Belle journée en perspective). Coudert développe, explique et critique les œuvres des artistes tentant de leur trouver un sens. Ses écrits biographiques sur de nombreux artistes révèlent la qualité de son écoute et ses critiques témoignent de sa longue expérience. Elles nous révèlent, à chaque fois, une facette distincte d’un artiste et de son œuvre. Alain Coudert a, entre autres, collaboré par l’écriture avec des créateurs aussi différents que Hasan Saygin, Wojtek Siudmak, Alain Marie, Marc Clauzade, Michel Jouenne, Charles Carson… Passionné d’écriture, de tableaux, de photographie et de bons vins de France, cet épicurien est aussi féru d’histoire et de littérature. En Martinique, il collabore à R.F.O. Martinique de 1981 à 1987 sous l’égide de Jacques Césaire. Il y anime notamment les matinales, produit une série d’émissions radio sur l’histoire de la Martinique vue par ses témoins et tient une chronique littéraire quotidienne. À la télévision, il anime la première émission littéraire régulière de l’île. Depuis 1987, il met sa plume au service des autres. Alain Coudert SALERNES, France |