1998- Reportage télévisé sur Charles Carson Médellin Colombie

La légende de Saint-Hubert

Chevaliers de l’Ordre de St Hubert

Hubert, fils de Bertrand, duc d’Aquitaine et arrière-petit-fils de Clovis était en l’an 683 un seigneur célèbre dans toute la Gaule par son intelligence, sa richesse et sa bonté. Il était âgé de vingt-huit ans et jouissait d’une renommée des plus flatteuses et d’une santé superbe. Il avait un visage loyal, ouvert et souriant. Ayant delaissé la Neustrie où la corruption des grands lui causait souci et offense, il passait ses jours en Ardenne, chez son parent, Pepin d’Heristal, comme lui puissant seigneur et maire du palais des rois Austrasie.

On ne connaissait à Hubert qu’une passion vive, irrésistible, furieuse: la chasse. A part cela, peut-être à cause de cela, car la chasse le tenait éloigne des inévitables et ordinaires querelles, il avait une grande réputation de sagesse. Pourtant il ne pratiquait aucune religion, étant, certes, trop occupé de vénerie pour adorer aucun dieu. Il avait completement oublié l’enseignement très chrétien reçu de sa tante, sainte Ode, qui lui servit de préceptrice, car la princesse Hugberne, sa mere, était morte en le mettant au monde.

Il se souciait donc fort peu de la messe et des solennites chrétiennes, mais il ne pensait pas mal faire. Il les ignorait simplement. Chaque jour, il était a la chasse, parcourait la forêt
dont les halliers impénétrables étaient peuplés de sangliers et de loups, et ne rentrait à son château qu’à la nuit pleine. Parfois, sans les rechercher, il avait aperçu des idoles à l’abri de quelque chêne ou sur le bord des fontaines que les païens croyaient habitées de nymphes. Il ne s’était pas attardé dans leur contemplation. Car s’il n’etait pas chrétien, il n’était pas davantage païen, encore qu’il ne fut pas loin de croire que chaque arbre de sa chère forêt possédât une âme émue et douce, ne se rendant pas compte sans doute qu’il prétait ainsi simplement aux choses le reflet de son âme heureuse.

Le duc Hubert chassait ! Il s’occupait à bien dresser ses lévriers
rapides, ses enormes matins de Tartarie et ses griffons poilus, et a affaiter les gerfaux de Meuse. Il aimait voir sa meute gravir les pentes des collines, tandis qu’il allait dans le feu du soleil ou parmi les tempetes. Il maniait avec une dextérité égale la hache, l’épieu, le couteau, l’épée. Il tuait d’une main sûre.

Il savait que, pour les chrétiens, le cerf devait à sa noblesse d’être l’animal privilégié de Notre Seigneur Jésus-Christ; pourtant il se réjouïssait d’entendre le cerf gémir, lorsque les chiens le tiennent rendu, et, en lui trouant le flanc avec l’épieu, sa main ne tremblait pas le moins du monde. Hubert attendait même, avec grande impatience, qu’il lui fut donné de rencontrer le fameux et presque introuvable cerf blanc, mais pour le seul fait de sa grande rareté, et non parce que sa mort octroyait au chasseur, comme chacun le savait de père en fils en Ardenne, le droit de baiser à son choix les lèvres de la plus douce et mignonne pucelle.

Un jour d’hiver, Hubert partit a cheval pour la chasse, dès les premières lueurs de l’aurore. C’etait le jour de la fête de la Nativite de Notre Seigneur. Du givre était épandu sur les arbres; du brouillard flottait au creux des vallons; quelques flocons de neige tombaient. Et comme il commençait à chasser, un cerf dix-cors, entièrement blanc, d’une taille extraordinaire, bondit d’un fourre et s’élança devant lui, l’entrainant dans les profondeurs de la forêt où le galop de son cheval le poursuivit. Après plusieurs heures, le cerf ne montrait toujours aucune fatigue alors que Hubert était rompu. Pourtant la course folle continua.

Soudain, il s’arrêta net. Dans une vision de lumière, Hubert vit entre les bois du cerf l’image du Crucifié et il entendit une voix qui lui disait :

– Hubert ! Hubert ! Jusqu’à quand poursuivras-tu les bêtes dans les forêts ? Jusqu’à quand cette vaine passion te fera-t-elle oublier le salut de ton Ame ?

Hubert, saisi d’effroi, se jeta à terre et, comme Saint Paul, il interrogea la vision :

– Seigneur ! Que faut-il que je fasse ?

– Va donc, reprit la voix, aupres de Lambert, mon evêque, a Maestricht. Convertis-toi. Fais pénitence de tes pêchés, ainsi qu’il te sera enseigné. Voilà ce à quoi tu dois te résoudre pour n’être point damné dans l’éternité. Je te fais confiance, afin que mon Eglise, en ces régions sauvages, soit par toi grandement fortifiée.

Et Hubert de répondre, avec force et enthousiasme:

– Merci, ô Seigneur. Vous avez ma promesse. Je ferai pénitence,
puisque vous le voulez. Je saurai en toutes choses me montrer digne de vous!

Hubert, duc et maire du palais des rois d’Austrasie, tint parole. Il se rendit aupres de Lambert, son évêque, qui le reçût avec joie. Il implora sa protection, l’assurant qu’il voulait consacrer a Dieu le reste sa vie commencée dans l’impiété. L’évêque lui donna sa bénédiction en Notre Seigneur Jésus-Christ et le mit sur la voie vertueuse et difficile du salut.

Abandonnant palais et richesses, reconçant à toutes les vanités de ce monde, Hubert se retira à Andage, dans les bois de Chamlon, ou Notre Seigneur s’était montré à lui dans les ramures d’un cerf blanc, sous la forme d’une croix étincellante.

Il habitât le monastère élevé en cet endroit par Plectrude, femme de Pepin d’Heristal, pour perpétuer le souvenir de l’incroyable mais véridique intervention de Dieu en faveur de son parent. Vêtu d’une rugueuse cotte de mailles appliquée sur sa chair, ne mangeant que racines, Hubert vécut là sept années, dans le recueillement, uniquement occupé à prier pour son salut. Il y vécut pauvre et parvint au complet détachement des biens de la terre, et même à oublier entièrement le trouble enivrant qui l’agitait lorsqu’il allait à la chasse, cette chasse qui n’avait été pour lui qu’une illusion de bonheur agréable et dangeureuse.

Mais le bruit de sa conversion se répandit dans toute l’Ardenne. Et les païens, en apprenant que cet homme si réputé, ce grand
chasseur, ce très haut et noble seigneur, avait avec éclat embrassé la religion du Christ, furent ébranlés dans leurs convictions détestables et se convertirent en masse. Bien des idoles furent alors détruites ou abandonnées, telles ces statues de la Diane chasseresse, dont Hubert, jadis, n’avait pas été sans subir le charme.

Ainsi Dieu, dans sa profonde sagesse, avait suscite aux incroyants l’apôtre le plus irrésistible et le plus séduisant.

Or Lambert, évêque de Maestricht, ayant été massacré par des païens, Hubert fut appelé à lui succéder. Et le pape saint Serge voulut sacrer de ses propres mains le riche et puissant duc, si particulierement aimé du Seigneur.

Mais comme Hubert, dès son retour de Rome, cherchait a revêtir les ornements pontificaux laisses par son predecesseur, il ne trouva pas d’étole.

– Le ciel me juge donc indigne de l’épiscopat, dit-il, puisque la marque la plus insigne de l’autorite ecclesiastique me fait defaut ?

A peine eût-il prononcé ces paroles qu’un ange parut, de lumiere céleste environné, qui lui remit une étole blanche, tissée de soie et d’or par la Sainte Vierge. Ensuite, Saint-Pierre lui-même apparut et lui presenta une clé, symbole du pouvoir qu’il aura de guérir les enragés et les déments. Cette clé n’etait rien moins qu’un fragment de la propre chaine de Saint-Pierre.

En l’année 708, Hubert établit à Liège son siège épiscopal, après avoir pris le soin d’y faire transporter les restes de saint Lambert, sur les lieux.

Dès lors, Hubert fit constamment oeuvre pie; convertit de nombreux incroyants; encouragea la charité; rechercha une justice égale pour tous et mis en chaque lieu des échevins; car il aimait les humbles et redoutait par dessus tout qu’on lui reprochat d’avoir été grand parmi les hommes et qu’on put l’accuser d’orgueil devant Dieu. Il reçut du ciel le pouvoir de faire des miracles et guérit force malades et possédés, ouvrant même a la lumière, comme sainte Lucie de Syracuse, des yeux qui ne voyaient plus.

Il vécut la fin de sa vie malade et souffrant une douleur lancinante et terrible que rien ne pouvait soulager, il se sentit rapidement déperir.

C’est alors qu’un ange lui apparut en songe pour lui annoncer la proche issue de son passage terrestre. Hubert, aussitôt, fit choix du lieu de sa sépulture, dans l’église qu’il avait fait construire, à Liège, en l’honneur du prince des Apôtres. En prenant la mesure de son tombeau, il dit à ceux qui l’assistaient:

– Vous creuserez ici ma tombe et y déposerez ma dépouille mortelle. Dieu veuilles recevoir mon Ame!

Et ainsi qu’il l’avait prédit, il rendit, peu de jours apres son Ame à Dieu, le dernier vendredi du mois de mai de l’an de Notre Seigneur sept cent vingt-sept, dans la septante et unième année de son âge.

Sa mort fut un deuil universel.

C’est alors que de nouveaux miracles, innombrables et retentissants, se produisirent. Quatre-vingt-huit ans après le décès de saint Hubert, les moines bénédictins de Andage réclamerent sa dépouille. Le pape ayant donné son autorisation, Valcand, évêque de Liège, ordonna de conduire a Andage la chasse magnifique qu’avait fait ciseler Carloman pour y mettre les reliques du saint. Ce qui eut lieu, en très grande pompe, en présence du pieux Louis le Débonnaire.

Cependant, dès qu’ils eurent la chasse en leur possession, les bénédictins d’Andage ne purent résister au désir de l’ouvrir. Ils y trouverent le saint parfaitement conservé. Puis, certainement inspirés, ils eurent l’excellente pensée d’en retirer l’étole de soie et d’or tissée par la Vierge Marie.

Et cette étole miraculeuse tint, depuis lors, le monde dans l’émerveillement. En effet, par elle, des malades, que la science des hommes ne parvenait pas a guérir, furent sauvés. Et à travers les sècles, parmi les foules qui s’empressèrent à Andage, les miracles, chaque jour, se renouvelèrent, et aussi chaque jour fut glorifiée la bienheureuse mémoire de Saint-Hubert.

Or, un jour, le troisième du mois de novembre, longtemps après la mort de saint Hubert, deux seigneurs ardennais chassaient dans la partie de la forêt voisine de Andage. A leur grande surprise, malgré qu’ils eussent battu et rebattu, ainsi que leurs veneurs, tous les bois, ils ne trouvaient trace d’aucun gibier. Consternés et dépités, ils se souvinrent tout a coup qu’ils étaient sur les lieux préférés par saint Hubert, lorsqu’il chassait, avant d’appartenir à Dieu. Ils firent donc le voeu d’offrir au saint le premier animal qu’ils tueraient. Immédiatement leurs chiens lancèrent un sanglier énorme, qui entraina meute et chasseurs jusque sous les murs même du monastère de saint Hubert. Là, le sanglier s’arrêta, sans tenir tête, comme s’il s’offrait volontairement aux coups des chasseurs, qui en effet, ne le manquerent pas. Et tous furent dans la plus grande joie de voir une telle pièce abattue. Mais oubliant la promesse qu’ils avaient faite, les seigneurs donnèrent l’ordre d’emporter le sanglier. Celui-ci, aussitot, se dressa, comme s’il était indigne d’être soustrait à sa pieuse destination, puis bondit, passa entre les chiens et disparut aux yeux des chasseurs que remplirent l’épouvante et le remords.

Et, depuis cette époque, le trois novembre est réservé à la fête de Saint-Hubert.

Ce jour-là, les chasseurs prennent part à des grandes chasses organisées en l’honneur du saint. Les cors sonnent le réveil en fanfare de tous les villages de l’Ardenne. Les prêtres disent la messe à la lueur des flambeaux. Le plus jeune chasseur fait la quête en offrant, en guise de plateau, le pavillon de son cor retourne… ou tomberent longtemps des pièces d’or. Et le premier gibier tué est offert au saint eu égard au grand amour de venerie qu’il eut avant d’être sanctifié…